Sublime et tellement beau. Dès qu’il apparaît et qu’une note à lui paraît, au milieu des délicates chandelles qui veillent avec nous, dans l’ici et maintenant. Créateur dans l’âme, artiste surdoué, compositeur de génie, les mots manquent pour décrire Franck Laurent-Grandpré, ce pianiste virtuose qui embrase les cœurs, et renverse littéralement les salles à chacun de ses concerts. Quel est son secret ? Une technique exceptionnelle, une musicalité remarquable, qu’il a forgées dans un cursus fulgurant, et en croisant des mentors géants… Ou sa sensibilité si profonde, et cette ingéniosité pure qui colore chacune de ses interprétations et compositions, nous entraînant dans un autre temps, et jusqu’à la source au dedans, où l’on demeure sans voix devant tant de grâce.
Était-il prédestiné ? Dernier d’une fratrie de trois enfants, Franck est pourtant né dans une famille d’avocats ; un père d’origine réunionnaise, une mère d’origine tchèque, et avec une enfance dans les hauteurs fleuries de Lyon. Sans vraiment de musique… “La seule qu’on écoutait c’était la musique actuelle, celle des shows télévisés”. Un signe pourtant est donné, car sa mère enceinte de lui, avait cette envie impérieuse d’aller écouter de la musique sacrée dans les églises, lecteur CD et casque sur les oreilles ! Enfant hypersensible, on le retrouve dans la cour de récréation à discuter avec ses professeurs, ou en petit groupe, à jouer aux cartes Magic ou aux Warhammer. “J’aimais m’évader dans l’imaginaire, avec des aventures épiques, des personnages fascinants et des mondes fantastiques”. Un jour, lors d’un cours d’éveil musical où toute la classe devait taper dans des casseroles, le petit garçon en ressort si traumatisé qu’il ne peut plus parler pendant plusieurs jours. Ses parents décident alors de le scolariser dans un environnement plus adapté, et c’est vers l’âge de 9 ans qu’il intégrera les “Petits Chanteurs de la Primatiale Saint Jean à Lyon”. “Mon oreille a été éduquée là-bas, avec le chant choral à un bon niveau”. Il part aussi en tournées internationales, désormais immergé dans le monde de la musique savante.
Puis vient ce tournant vers l’âge de 13 ans. “Il y avait un petit synthétiseur à la maison, mis de côté dans une pièce à débarras, et je suis tombé dessus à Noël”. De suite, comme il improvisait des musiques, ses parents vont lui offrir un clavier à touches lumineuses pour les fêtes. Mais sa mère reste interloquée car, au bout de trois jours, il jouait déjà les morceaux sans y avoir recours. “C’est ainsi que le piano est entré dans ma vie, et s’est imposé à moi comme une évidence. J’ai commencé à prendre des cours et puis tout est allé très vite…”
C’est le temps de tous les défis. Lors d’un récital de la Petite Messe Solennelle de Rossini, le jeune adolescent s’avance vers le pianiste François-René Duchâble, connu pour avoir largué son piano dans un lac. “Comme il a eu une grande carrière internationale, il va me dissuader de faire ce métier, car on passe sa vie en déplacement. Mais cela n’a pas marché !” Quelques semaines plus tard, avec seulement six mois de piano intensif, Franck Laurent-Grandpré va tenter d’interpréter au piano le troisième mouvement de la Sonate de Clair de Lune de Beethoven. “C’était très émouvant, car malgré toutes mes imperfections, le chef d’orchestre ne voulait pas croire que je démarrais à peine, et il m’a alors fait rencontrer Bruno Robillard, un pianiste de métier, qui lui a commencé à m’aider.” Le jeune musicien entre alors au Conservatoire National de Région de Lyon, avec ce potentiel inouï en devenir. “Le jury avait lancé cette phrase : l’interprétation du milieu du morceau était exotique, mais la performance de l’impromptu est bonne. Là, j’ai vraiment commencé le piano, et après trois ans, j’ai décroché la médaille au conservatoire régional.” Il l’obtiendra d’ailleurs avec les meilleures mentions, et continuera ses études dans la Haute École de Musique de Genève, en passant des doctorats à Florence, Catane ou encore au Royal Birmingham Conservatoire… Et encore une revanche, puisque Franck finalisera son cursus, avec le premier prix et les félicitations du jury, au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, le “graal” dans ce métier. Il est désormais dans la cour des grands et avec, dans ses mains et sa mémoire, un pur trésor qu’il va continuer à travailler et faire évoluer, en obtenant les plus hautes récompenses dans les plus prestigieux concours internationaux. “On dit qu’il faut 20.000 à 30.000 heures pour maîtriser son instrument. Donc presque 10 heures de piano pendant 10 ans, tous les jours. Et effectivement, avec les périodes de concours comme une intense accumulation de travail, c’est à peu près ce que j’ai dû faire, étalé sur toutes ces années.”
Au début, le jeune étudiant cherchera des professeurs qui lui donneront confiance afin d’être accrédité dans ce milieu-là. Puis au gré des rencontres et des voyages, certains vont façonner durablement son mode d’expression. Comme ce stage avec Maria João Pires dans un institut bouddhiste, avec un mélange improbable entre séminaire de musique et spiritualité. “On se levait à 6h du matin pour aller faire des vocalises bouddhistes improbables dans leur satsang, et ensuite on faisait du piano dans un chalet familial, perché au milieu des montagnes.” Là, il retiendra que la musique vraie a toujours sa source absolue au-dedans, et au plus profond de nous-même. Denis Pascal aussi, sera sur son sillage pour lui apprendre à danser le piano, “c’est-à-dire à jouer la musique comme un danseur”. Et encore Jean-Claude Pennetier, un prêtre orthodoxe un peu austère, “mais un musicien incroyable, et d’une bonté sans pareil.” Jusqu’à aujourd’hui, le jeune pianiste lyonnais a gardé cette discipline en travaillant tous les jours samedi et dimanche compris, pour conserver en mémoire les quelques 15 heures de répertoire qu’il souhaite constamment développer.
Deux rencontres mémorables, aux antipodes l’une de l’autre, vont également le marquer pour toujours. Elisso Virsaladze d’abord, grand monstre sacré du piano soviétique russe, qui accepte de lui dispenser les cours à Fiesole. Évidemment, avec peu de place pour la fantaisie, puisqu’elle incarne l’autorité absolue, “mais elle est en vérité une professeure incroyable, doublée d’une personne adorable, qui parle 9 langues, et qui enseigne à chacun dans sa langue, en montrant l’exemple de la discipline à tenir.” Une technique parfaite donc, et une pédagogie militaire auxquelles le pianiste va se confronter, et de cet inconfort permettre la magie, parce qu’étant terriblement cadré par elle, avec ses exigences très spécifiques, j’ai été obligé de chercher loin dans ma créativité mon espace de liberté .” C’est là aussi qu’il intègrera dans son art le toucher sensuel, et jouer piano, très petit, très fin, avec la maîtrise parfaite des pianissimos et de l’agogique. La deuxième rencontre sera celle avec le pianiste cubain, José Luis Prats, “l’un des pianistes vivants que j’admire le plus au monde. Il était venu à Lyon quand j’étais au Conservatoire, et ce fut le plus beau récital de toute ma vie, parce qu’il y avait un son qui emplissait tout l’auditorium, et même au fond de la salle, je me délectais de chacune de ses notes, et de son jeu improvisé. Là encore, il se retrouve nez à nez avec lui, lors d’un Concours prestigieux. “Un homme imposant, avec son regard sombre et intimidant, et il m’a frappé sur la poitrine en criant : Of course I remember you. You played like garbage ! car il n’avait pas voté pour moi.” Mais suivront 15 heures de cours personnels en marge de la compétition, et un moment hors du temps… pour jouer immense, jouer libre, énorme et avec la transmission indirecte des précieux conseils d’Arthur Rubinstein qui l’avait formé, notamment sur la maîtrise du temps et comment créer un son colossal. “Il m’a complètement affranchi de la manière dont on pouvait toucher un piano, et a explosé les cadres de ce que j’aurais pu concevoir !”
Multi-potentiel, Franck est aussi un féru de philosophie, de religions et de spiritualité, passionné de médecines alternatives, d’astrologie évolutive, de musiques latines et de capoeira… ce qui lui permet d’explorer plein de possibles, avec des visions plein la tête, et des assemblages qui font émerger une créativité d’outsider. “Ce sont toujours des cycles, des contextes, des associations d’idées qui vont générer un impératif de création.” Ses nombreux projets sont donc en construction, comme une saga d’aventurier. En 2017, il démarre une œuvre pour piano intitulée “La Sagrada Familia”. “J’ai décidé d’entreprendre la construction d’une sorte de cathédrale musicale, d’où le nom, avec une variation infinie d’un motif initial, sur lequel tout est bâti.” C’est un hymne à la vie, et toutes les influences y sont présentes, dans une odyssée en trois volets, dont le motif principal trinitaire, est varié en trois thèmes : Mi Bémol, Ré majeur et Si mineur, qui sont respectivement le Mystère, la Tendresse, et la Création. Cette œuvre un peu mystérieuse comporte déjà 3 heures de composition, avec une palette et une diversité de couleurs époustouflantes, mais le premier chapitre va être enfin dévoilé en entier à l’occasion des Jeux Olympiques 2024. Le pianiste est aussi un performer hors-norme, avec près de 200 récitals solos donnés dans le monde depuis 4 ans, et il sillonne actuellement les villes de France, pour enchanter le public avec ses interprétations revisitées: Chopin, Hans Zimmer, Beethoven, Mozart, Einaudi, Tiersen… et des paraphrases et transcription au piano de chefs d’œuvres de films. Peut-être un jour il pourra aussi transmettre son art, “certainement à partir de ce que je ferais à ce moment-là, puisque les meilleurs enseignants sont, ceux qui travaillent ce qu’ils enseignent.” Et toujours concevoir des expériences musicales, en sortant des sentiers balisés.
Artiste généreux et humble, Franck Laurent-Grandpré est une comète dans l’univers de la musique classique, surprenant par l’audace, la pureté et l’excellence de ses projets où il se donne sans mesure, dans une créativité débordante qu’il hisse au firmament. Mais ce qui nous marque profondément chez ce prodige, dont la carrière est en pleine ascension, c’est sa sincérité, la claire vision qu’il porte en lui, et l’amour dans tout ce qu’il propose, nous offrant un voyage intérieur, où la musique créative se transforme en musique curative, médiatrice entre le profond silence qu’il écoute, et celui qu’il éveille en nous, source et origine de tous les sons. C’est de cette beauté-là que viendra un monde meilleur ! Suivons donc avec délice la traînée lumineuse qu’il laisse dans nos consciences à chacun de ses passages…
Textes et photos sont la création personnelle de ©Carine Mouradian suite à une interview exclusive avec Franck Laurent-Grandpré le 26 mai 2024 – Tous droits réservés.
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