Il est à l’image de ses chocolats : naturel, racé et audacieux, avec un étonnant mélange de créativité, sous un savant enrobage de fraîcheur. En un mot : unique ! Les « Chocolats vivants » du Chef Edouard Hirsinger, meilleur ouvrier de France 1997, sont une véritable révélation gustative. Dans sa chocolaterie d’Arbois, il explique son métier et sa passion d’artisan hors norme, à la fois enraciné dans son histoire et sa région, et bouillonnant d’idées. Edouard Hirsinger, 53 ans, œuvre pour le retour à une authenticité véritable, celle qui redonne du sens.
Tout commence en juin 1900 quand son arrière-grand-père, Auguste Hirsinger rachète le fonds de commerce d’une pâtisserie en plein cœur d’Arbois (Jura), pour continuer d’y faire des douceurs sucrées (la maison a donc plus de 150 ans). Depuis, l’affaire se transmet de père en fils. Edouard succède donc à trois générations de chocolatiers pâtissiers : son grand-père de 1930 à 1960, son père de 1960 à 1990 et lui depuis 1993. « J’ai le poids de l’histoire derrière moi, mais c’est aussi une force. Cela donne une grande sérénité de se dire qu’on a toujours tenu bon ». Son grand-père notamment avait fait de la résistance passive lors de l’arrivée des allemands en fermant sa boutique pendant cinq années, même si ce fut très compliqué à vivre car ils n’avaient plus de revenus.
La particularité de cette vieille Maison, c’est ce cahier de recettes, datant de 1892, et que présente, non sans fierté, le Chef Hirsinger. Toutes les recettes de l’arrière-grand-père sont consignées à la main, avec notamment celle du fameux chocolat : « le tous t’Chef », un petit galet qui est toujours fabriqué aujourd’hui, avec du praliné noir et des noisettes du Piémont italien.
Il a le déclic en 1976, quand ses parents ramènent une boîte de chocolats d’Henri Leroux, maître chocolatier à Quiberon. « Je me suis écrié : C’est ça que je veux faire plus tard ! Ce travail recherché, très original, avec des goûts bien nets… » En hommage à son modèle qui lui a donné envie de créer des chocolats différents, il va créer « le Triple H », un chocolat d’automne, avec trois bosses en forme de H pour exprimer : Hommage d’Hirsinger à Henri Leroux. « C’est un chocolat compliqué à faire car entièrement confectionné à la main, avec trois couches pour refléter ses origines bretonnes : une nougatine au sarrasin, une ganache au caramel au beurre salé et une compotée de pomme un peu acide comme le cidre ».
Pourtant, il débute son métier à 18 ans sans ressentir une vraie vocation. Il travaille un an à Cannes, puis 6 mois à Lyon. Le reste du temps, il se forme avec son père dans la chocolaterie d’Arbois; Mais la passion va venir en pratiquant. « Comme je n’avais pas de réseau pour rentrer dans les bonnes maisons, je n’ai pas eu la possibilité de travailler chez un chocolatier haut-de-gamme de l’époque ». Il réalise aujourd’hui que cet apparent désavantage a été, en fait, une chance : « Je suis vierge d’influence. Du coup, j’ai un style vraiment particulier par rapport aux autres chocolatiers. »
C’est dans la boutique adjacente à la maison natale que le jeune Edouard commence par marquer son empreinte. « A l’époque, nous n’avions que deux spécialités toute l’année, comme la plupart des chocolatiers d’autrefois. Et nous avions juste un assortiment de chocolats pour les fêtes de fin d’année, ainsi que des gourmandises un peu spéciales pour l’été, qui puissent résister à la chaleur car il n’y avait pas de vitrines réfrigérées ». Par curiosité, il va confectionner une ganache au thé, avec 500 grammes de crème ; soit 2 kilos de chocolats trempés à la main. Sa mère dispose cette nouveauté entre les deux spécialités. Alors le jeune Chef va trouver sa clientèle et sa joie en prenant l’habitude d’innover et en allant explorer des terrains nouveaux.
Jusqu’à réactualiser les ingrédients, le savoir-faire et les bonnes recettes du passé. « Un jour, j’ai trouvé une veille boîte de réglisse en bloc, une sorte de suc aux extraits naturels. Mon père m’a dit qu’on ne n’utilisait plus aujourd’hui. Alors, j’ai modifié ma recette de la ganache au thé en mettant de la réglisse à la place ». Il y a donc eu deux plateaux avec thé et réglisse. Il entreprend aussi un travail qualitatif et une recherche de fournisseurs locaux ou d’origine (ceux qui travaillaient pour son grand-père). « Ceci par cohérence, par conviction et par volonté ». Les œufs sont biologiques d’un petit paysan voisin, la crème est pasteurisée A.O.P. d’une coopérative de Bresse, le beurre provient d’une coopérative jurassienne… Le Chef travaille aussi avec les meilleurs produits régionaux : amandes et citrons de Provence, marrons du Var, piment d’Espelette…
« Une de mes plus grandes fiertés serait de trouver un nouveau type d’intérieur – autre chose que les pralinés, les pâtes d’amande et les ganaches ». Modestement, le Chef reconnaît avoir déjà testé des nouvelles finitions et textures, mais qu’il continue ses explorations…
En 1993, il reprend l’affaire avec sa femme et achète des vitrines réfrigérées (à 16°C), ce qui lui permet de réaliser ses créations même l’été. Son père partant à la retraite, il achète une enrobeuse pour continuer à se consacrer à la création de nouveaux chocolats. Au bout de quelques années, en fréquentant des amis cuisiniers, il a l’idée de confectionner des chocolats de saison. « Puisque les cuisiniers ont des cartes selon les saisons, je me suis dit : Je veux faire comme eux ! » Avant tout le monde, le Chef Hirsinger lance les gammes de chocolats de saison : avec la mûre sauvage, la rhubarbe, la reine des prés et tous les produits qui lui permettent de créer des goûts, des saveurs, des textures et des formes nouvelles. « L’inspiration je la trouve dans tout. La nature, mes voyages, mes rencontres, mes coups de cœur pour certains produits que je peux découvrir, et bien sûr la capacité que j’aurai à les intégrer dans du chocolat ». Et ça marche ! Après les gammes de chocolats « été » et « hiver », il les élargit aux « printemps » et « automne ». Aujourd’hui, dans sa boutique, on trouve des chocolats classiques, vendus toute l’année, et une dizaine de spécialités de saison. « Les chocolats se succèdent comme les saisons et vivent avec leur temps et leur enracinement local et régional ». Par exemple, un chocolat au sel des Salines du Jura, ou un autre, à base de pâte de noix et de curry, pour se marier avec les arômes du vin jaune, autre spécialité de la région…
Rapidement, son talent et sa créativité innovante vont porter la notoriété de la Maison Hirsinger à une réputation nationale et internationale. Chose rare, il se retrouve en 1997, à la fois patron d’une maison centenaire haut-de-gamme, et sacré « Meilleur ouvrier de France ». Ce qui ne passe pas inaperçu au Japon. « Les Japonais eux-mêmes sont venus me rendre visite il y a onze ans; Ils voulaient importer mes chocolats pour la Saint Valentin et leur Salon du Chocolat ». Après cinq années, il signe un partenariat exclusif avec une troisième société qui lui propose d’ouvrir une boutique à Tokyo. « Le Japon est venu comme un cadeau. Ils m’ont proposé un positionnement de marque et non pas d’importer mes chocolats dans un effet de mode éphémère. C’est cela qui a fait que j’ai accepté, et à la condition de toujours confectionner mes produits ici ». Au pays du Levant, le succès est immédiat. « Les Japonais sont très sensibles et ont des émotions plus fortes que les français ». Ils comprennent qu’il y a plusieurs couches, jusqu’à 4 parfois ! Et que cela est compliqué à faire, car le Chef adapte les formes de ses chocolats selon son idée de création et le goût qu’il veut atteindre. « Un bon chocolat, c’est la complexité aromatique, la longueur en bouche et bien d’autres choses encore ; Ils doivent toujours être composés avec un équilibre. J’aimerai qu’on enseigne un jour cette science dans mon métier ».
Enfin, autre spécificité de la Maison Hirsinger, c’est l’appellation « Chocolats vivants ». « Un grand chocolat c’est comme un grand vin. Il ne supporte pas l’imperfection et a besoin d’une rigueur extrême dans sa fabrication, dans sa conservation et jusqu’à sa consommation. » Le Chef dépose ce concept il y a une dizaine d’années pour résumer son approche personnelle du métier et sa pratique. Tout ce qui peut être fait à la main, de manière artisanale, dans le pur respect de la tradition, est privilégié, « même si c’est plus long et plus coûteux ». Cette appellation « Chocolats vivants » garantie les trois qualités essentielles d’un chocolat d’exception : les matières premières, les recettes et la fraîcheur.
Pratique courante chez les chocolatiers, les assortiments (Noël ou Pâques par exemple) sont fabriqués six mois à l’avance, pour alléger le travail au moment des ventes. « Mais lorsqu’on congèle un chocolat, la ganache sous forme liquide, va gonfler et prendre plus de volume. Lors de la décongélation, l’enrobage se sépare de l’intérieur. La technique est de remplacer l’eau avec plus de matières grasses et de sucres, ce qui stabilise le produit, mais apporte un goût plus sucré, plus gras et donc plus écœurant. Je refuse de faire cela. J’accepte que ce soit plus long et plus compliqué, par passion, et parce que le résultat n’est pas le même ».
Les recettes sont ainsi étudiées pour assurer un goût optimum dans les 15 jours de leur fabrication. Toutes les semaines, une « virée de chocolats » est organisée et chaque sorte de chocolat est refaite tous les dix jours. L’appellation « Chocolats vivants » résume donc un état d’esprit général et la signature Hirsinger.
Dans son laboratoire d’Arbois, avec un talent fou et beaucoup d’humilité, le Chef Edouard Hirsinger continue de créer librement et pour notre plus grand bonheur « un chocolat qui a une âme, qui a quelque chose à raconter. Un chocolat différent ! »
Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre le 3 mars 2017 à Arbois. – Tous droits réservés.