Ce titre est une évidence, car Ara dans la mythologie arménienne, désigne le nom d’un monarque, et Malik, de son patronyme veut aussi dire roi chez les orientaux. Et cela devient une certitude quand on le voit sur scène jouer de son violon avec une telle magnificence. Une musique qui nous saisit et nous transporte, avec son énergie débordante qui subjugue et enflamme les publics du monde entier. Son secret ? Un surdon décelé dès l’enfance et un parcours atypique qui ont fait de lui un musicien et compositeur hors-norme, et un artiste engagé qui incarne et crée la musique du bonheur. Pour que l’humanité se rassemble enfin sous une identité commune et retrouve dans l’art et la culture, la joie de vivre ensemble dans la paix.
Son enfance fut brève, car son père Jiraïr, instrumentaliste pour une chanteuse célèbre de l’époque, veut absolument faire de lui un grand violoniste. “Dès l’âge de trois ans, il m’a donc mis un violon sous le menton, qui est resté là pour toujours.” Ara Malikian est né au Liban en 1968, dans une famille d’origine arménienne, et ce petit pays méditerranéen est très vite ravagé par la guerre civile. “J’ai le souvenir d’un bruit incessant : celui des explosions des bombes ou la voix sévère de mon père, qui me forçait à pratiquer le violon jusqu’à m’arracher des larmes.” Une exigence qui lui permettra d’atteindre son niveau d’excellence. “Je lui suis tellement reconnaissant aujourd’hui, mais je ne ferais pas cela avec mon fils ! Ara est un enfant calme et timide et il grandit avec ses deux sœurs aînées dans les quartiers populaires de Beyrouth. Pour faire oublier l’insécurité et les longues heures où famille et voisins se terrent dans les abris, il va s’improviser violoniste. Son talent se fait vite remarquer, et il donnera son premier concert de violon à l’âge de 12 ans devant un public de 800 personnes. Deux ans plus tard, il est repéré par le chef d’orchestre Hans Herbert-Jöris et décroche une bourse pour étudier à l’École supérieure de musique de Hanovre en Allemagne. “Un moment difficile de ma vie, car il y avait un blocus terrible dans le pays, et un choix à faire impliquant le déracinement de mon pays, ma famille et mes amis.” Il a alors 15 ans.
Plus tard, il se souviendra de son grand-père, qui avait pu échapper au génocide arménien de 1915, en se faisant passer pour un faux-musicien qui part assurer un concert, un violon dans les mains. “Ce même violon le sauvera de la guerre, une fois de plus !
Arrivé seul en Allemagne, il est vite projeté dans la vie d’adulte. “J’ai compris que mon avenir ne dépendait que de moi.” Il est le plus jeune des élèves de la prestigieuse école et devient l’un des plus assidus. “Les yeux rivés sur mon violon, je pratiquais sans relâche de 10 à 12 heures par jour.” Un moment éprouvant de sa vie, aussi car il doit apprendre à s’intégrer et faire de nouveaux amis, en apprenant une nouvelle langue et une nouvelle culture. “Ce passage fut amer mais il m’a permis par la suite de me sentir bien n’importe où dans le monde.” Il poursuivra sa formation en Angleterre, à la Guidhall School of Music and Drama de Londres, et prendra des cours avec d’éminents professeurs comme Franco Gulli, Ruggiero Rucci ou encore Ivry Gitlis et Hermann Krebbers. Puis un concours de circonstances : un incendie dans son appartement, une rupture amicale et il décide de changer radicalement de vie en venant habiter en Espagne. Madrid, c’est là qu’il est établi depuis plus de deux décennies maintenant, à Malasaña très exactement, devenant aussi citoyen espagnol. “Peu de temps après mon arrivée, on m’a confié l’un des sièges de violon solo de l’orchestre symphonique de Madrid.” Il y restera sept ans, en jouant notamment avec Mstislav Rostropovich, qui dira de lui qu’il est le meilleur violoniste du monde de sa génération.
Insatiable, Ara Malikian a aussi besoin de créer une musique à lui, et il se sent à l’étroit dans le monde très académique de la musique classique. Curieux et avec une grande sensorialité, il veut tout connaître des cultures qui le touchent : la musique de ses racines arméniennes notamment, avec ses harmonies orientales et tziganes, puis au gré de ses rencontres, la musique klezmer, le flamenco espagnol, le tango argentin ou encore la rumba cubaine… “Je voulais jouer d’une musique qui me ressemble” et le résultat est époustouflant : un mélange inclassable de classique et de populaire, qu’il retranscrit dans une interprétation très personnelle, toujours virtuose et scénique. “Car cette musique-là, je la comprends, sans vouloir imiter personne ! ”
Son parcours est époustouflant avec une carrière qui s’étend sur plus de 35 ans maintenant. Cet amoureux de Paganini et de Bach, a donné plus de 300 concerts et produit un vaste répertoire d’interprétations, avec un grand nombre de distinctions tout au long de sa carrière. En tant que violoniste solo, il a aussi parcouru les cinq continents et plus de 40 pays, invité par de grands groupes musicaux dans les prestigieuses salles de concerts. Il a aussi publié des chefs-d’œuvre de compositeurs contemporains comme Franco Donatoni, Malcolm Lipkin, ou Lawrence Romany et Yervand Yernakian, A son palmarès, plus de 40 albums à ce jour !
Pourtant, malgré le succès, Ara Malikian a su garder les pieds sur terre et il cultive la modestie en toutes circonstances. “Je ne fais pas ce métier pour vendre des albums, ni pour être célèbre. Mais seulement pour être sur scène et partager avec le public une musique qui nous rend heureux.” Sa première tournée mondiale s’appelle « Ara Malikian Tour 15 » et elle durera deux ans. Il y appose sa signature musicale personnelle et même autobiographique, reflet de tous les pays et cultures qui l’ont marqué. Il revient aujourd’hui avec encore plus d’audace et de liberté de création, pour une nouvelle tournée intitulée « L’incroyable histoire du violon », qui a démarré en 2017. Il nous entraîne de nouveau dans une musique classique, pop ou rock moderne et revisitée, avec des morceaux de Led Zeppelin, Radio Head, David Bowie ou Jimi Hendrix…et des compositions plus personnelles qui ont toutes une histoire, comme celles pour les 100 ans du génocide de son peuple arménien. Sur scène, il est métamorphosé. Lui plutôt réservé, s’électrise et vit d’intenses moments de grâce et de joie. Que dire de plus de cet artiste si inclassable? Il bouleverse les codes de la musique classique. On voit désormais le violoniste bouger et danser sur scène, et ce fut pour lui une libération ! Son look aussi décoiffe, sans excentricité. “Ce sont mes deux sœurs qui m’ont conseillé de faire pousser mes cheveux pour couvrir mes oreilles qu’elles jugeaient trop grandes. En réalité, je n’ai jamais cherché autre chose qu’à être moi-même ! ”
Sentir la vibration de son public partout dans le monde, permet à Ara Malikian aujourd’hui, de prendre position pour défendre les arts et la culture qui pourront rassembler les peuples et mettre la paix dans la vie des hommes. “Car c’est là notre identité commune qui bannit les frontières, détruit les divisions, et fait que chaque peuple puisse enfin vivre en bonne entente”. Il se mobilise aussi pour sensibiliser et faire reculer les drames de notre époque ; et c’est pour lui un devoir en tant qu’artiste. “La faim notamment, qu’elle soit en bas de chez nous ou dans un pays lointain”. Puis le sort des immigrés “qu’il faut aider à tout prix, le temps qu’ils retrouvent leur pays et leur dignité”. Une inépuisable richesse humaine qui est finalement, son plus beau message. A 50 ans, Ara Malikian a des lumières dans ses yeux. Il est au sommet de sa créativité, avec une fécondité que plus rien n’arrête. Il prépare avec son orchestre et ses musiciens, un nouvel album et sera en tournée de nouveau en 2019, en passant par l’Olympia à Paris en octobre. L’amour lui donne des ailes, et cet équilibre enfin trouvé avec sa femme Natalia et leur petit Karo, aujourd’hui 4 ans, qui remplit leur vie de bonheur.
Hyperactif, bosseur et attentif aux autres, avec une humilité et un grand sens de l’humour, Ara Malikian est un artiste déroutant par son charisme, son histoire et son parcours. Tantôt flegmatique puis embrasé, il ne triche pas et c’est là toute sa force. Croire en sa mission et à l’intuition remarquable qui le guide avec une justesse impressionnante. Ce qu’on garde au final, c’est cette passion et vibration intérieure à laquelle il consent en public et qu’il redonne en partage, avec une énergie capable de transformer le monde. Violonissimo !
Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre le 14 novembre 2018 – Tous droits réservés.
Lien vers le site d’Ara Malikian