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Kyoko Sugiura

La brodeuse du clair de lune

Elle a ces mains de dentellière et des gestes à damner Vermeer ; puis des yeux en amande d’une douceur infinie, et un sourire énigmatique, presque surnaturel. C’est sûr, elle vient d’ailleurs ! Éternellement jeune, Kyoko Sugiura est une brodeuse d’art et une designer, d’origine japonaise, qui crée sans relâche dans son atelier parisien des pièces brodées d’une grande finesse. Maîtrise de son art ancestral, réappropriation avec poésie, pour que tout, la nature et ses saisons, les animaux, les émotions, racontent un moment unique avec des broderies délicates et pleines de sentiments. La rencontrer est aussi un privilège car l’on découvre une artiste lumineuse comme l’astre de la nuit et d’une justesse infinie dans ses créations, ses paroles et sa noblesse d’âme.

 

L’éducation à la Japonaise

“Je suis née à Chiba, une ville dans la banlieue de Tokyo, dans une famille qui n’avait pas spécialement de lien avec l’art.” C’est sa mère qui va la pousser dans cette voie. Elle maîtrisait incroyablement bien le tricot, la couture, la broderie, la cuisine, qu’elle avait appris à l’école comme toute fille japonaise qui se prépare à devenir une femme modèle pour sa famille “et elle a tout fait pour moi. Elle cousait notamment ses vêtements, et même si à cette époque-là, Kyoko voulait être habillée comme tout le monde, et surtout acheter ses habits, aujourd’hui, ces souvenirs ont beaucoup de valeur à ses yeux. C’était vraiment merveilleux. “Elle me confectionnait de jolies robes, même des sacs pour aller à l’école et des couvertures de lit. Tout était « fait maison » et dans l’intention de me faire plaisir, et d’être unique au monde.” Kyoko va apprendre ces disciplines à son tour vers l’âge de 11 ans. La petite fille habitait près d’un grand parc qu’elle traversait tous les jours pour aller à l’école et elle aimait particulièrement cette nature vivante ainsi que les vacances passées dans la ferme de ses grands-parents maternels, qui travaillaient dans des rizières, en pleine campagne, “avec des vaches qui paissaient près de la rivière”.

Le fil de la broderie

Sa mère était très exigeante dans son mode d’éducation ; Par exemple, il y avait pleins de petites règles à suivre tous les jours, comme au moment du repas traditionnel japonais, mettre la soupe de miso à droite et le bol de riz à gauche. “J’ai appris la rigueur et la patience qui m’ont aidée à assimiler les techniques de broderie plus tard”. Kyoko a très vite la main pour faire des tricots à l’école et elle excelle dans les disciplines d’art manuel. Elle travaille aussi des pièces à la maison avec sa maman. Mais elle poursuivra ses études normalement pour apprendre la chimie et s’orienter vers l’agriculture. En parallèle, elle fait des petits jobs et notamment ouvreuse dans des théâtres, ce qui lui permet d’accéder à la culture.

Après avoir entamé son cursus universitaire, Kyoko Sugiura prendra un travail de bureau, mais continuera d’apprendre en parallèle les techniques de broderie dans des cours du soir offerts par une maison d’édition. “Je ne dormais pas la nuit tellement cette activité me galvanisait, enchainant mon travail et mes ouvrages, jour et nuit. Elle va alors commencer à exercer son art. Pour chaque création, elle choisit avec soin ses fournitures (tissus, dimensions, fils et autres accessoires) pour tracer, broder, assembler, confectionner et créer un bel objet grâce au tissu et au fil. Des heures de travail pour un résultat sublime, d’une beauté pure, élégante et raffinée. “Mes premières créations furent des coussins, des sacs, des cadres, et à l’entrée de la maison de mes parents, il y a toujours mon tableau de fleurs avec plein de variations florales légères, et rempli d’une multitude de couleurs intenses.”

Les premières réalisations

Kyoko se marie à l’âge de 25 ans et s’inscrit dans une école de mode, où pendant 3 années, elle va se perfectionner en broderie de points et dans les techniques de couture, pour libérer sa créativité sur tout type de tissus. Elle enseigne également dans cette école et mûrit le projet de se mettre à son compte, avec des œuvres personnelles. Elle s’initie en parallèle aux secrets du « Nihon Shishu », la broderie traditionnelle japonaise, qui est utilisée notamment pour faire des tableaux, des kimonos, des obis et qui véhicule les valeurs essentielles du Japon. Une broderie aux fils de soie et à la main qui permet d’offrir la traditionnelle légèreté de la soie fine.

C’est là encore qu’elle effectuera son premier voyage en France. “On a visité le Sud puis Paris et là, j’ai trouvé un grand magasin de tissus qui a changé ma vie. Des tissus épais, uniques dans leur genre et conçus pour la décoration intérieure. Elle va en acheter plusieurs modèles et confectionner des sacs brodés pour elle-même, qui auront un grand succès. Très vite, elle a une proposition d’exposer ses créations dans une galerie d’art à Ginza. Sa carrière est lancée. Kyoko ouvre un atelier boutique à Tokyo, en continuant de s’approvisionner en tissus depuis Paris où elle viendra une fois par an.

Elle brode alors sur pleins de matières différentes, avec des paillettes, des perles, des fils de coton ou encore de la laine pour nourrir à la fois une collection, et pour certains modèles sur mesure pour sa clientèle. Afin d’élargir sa gamme, Kyoko Sugiura proposera ainsi des sacs classiques pour la journée et des sacs brodés plus sophistiqués pour les occasions spéciales. Et elle donnera également des cours de broderie et de couture en journée dans son atelier.

Créer et transmettre

En 2009, les deux époux décident de prendre deux années sabbatiques sabbatique, et viennent s’installer à Paris. Kyoko s’inscrit dans une école de broderie privée à Sartrouville pour apprendre notamment la technique des crochets de Lunéville qui sont utilisés pour la broderie d’art et dans la haute-couture de mode, pour broder au point de Beauvais, de chaînette, ou bien pour poser des perles et des paillettes. C’est là qu’elle commencera à exercer dans des ateliers de haute couture, en stages au départ, puis comme prestataire, deux fois par an, pour préparer les plus belles collections des défilés parisiens. “En France, ce que j’ai appris c’est plutôt l’esprit artistique, et ce luxe qui m’inspire. Le souci de l’ornement, de la parure, des détails infinis, des matières subtiles et une créativité débordante.”

Aujourd’hui, elle continue son œuvre avec prochainement des sculptures en textile où elle mélangera plusieurs techniques, comme le boutis, le tricot, le dessin, la dorure, etc. et son travail de création personnelle avec sa clientèle internationale et pour préparer des expositions. Elle enseigne aussi dans une école de mode de région parisienne. “Il est si important d’évoluer sans cesse et de sortir de sa zone de confort. J’aime aujourd’hui retourner à Tokyo avec un autre regard. D’ailleurs, dans mon pays insulaire, on dit d’un pays étranger qu’il est « au-delà de la mer ». Il faut donc traverser la mer pour pouvoir en sortir, puis y revenir.”

Kyoko Sugiura aurait-elle un lien de parenté avec la princesse Kaguya, célèbre vieux conte du Japon ? Née dans un bambou, elle vient de la Lune et n’a de cesse d’y retourner toute sa vie. Comme elle, elle nous y emmène sans cesse quand ses mains de dentellière brodent sans s’arrêter pour nous restituer une beauté onirique, presque d’une autre planète. Mais Kyoko Sugiura est aussi une femme-artiste libre qui porte en elle une sensibilité précieuse, qui lui permet de capter tout ce qui la touche et l’exprimer non pas en retenue, comme dans la culture Japonaise, mais dans un langage créatif bien à elle, livrée entièrement à son art et tout ce qui la traverse…

 

Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre le 21 septembre 2019 – Tous droits réservés.

Lien vers le site de Kyoko Sugiura Créations

Galerie photos de Kyoko Sugiura

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