Un drôle de métier pour cet artisan à part. Et pourtant, il est si bien à sa place. Artiste inspiré, enraciné dans la mémoire séculaire de ces dompteurs de métaux, Jonathan Soulié libère sa créativité dans son atelier gaillacois pour faire advenir des pièces uniques, touchantes de grâce, sublimes de justesse et de vérité, qui reflètent la beauté de la nature. Cette lumière lui vient aussi du dedans, qu’il capte à chaque instant, établi solidement dans son histoire et celle de ces artisans qui ont fait l’essor de la dinanderie. Mission de vie ? Torrent d’énergie ? Il se laisse façonner à son tour pour exprimer un art nouveau, celui qui l’habite dans la clarté et la simplicité de son chemin d’abondance.
Jonathan Soulié est né dans le département du Tarn, où il a vécu toute son enfance dans une grande liberté et insouciance, au plus près de la nature. “Le milieu rural a forgé mon caractère”. Dans son village, ils étaient 11 enfants qui allaient à l’école en pleine nature, et il développera très tôt un tempérament observateur où se côtoient mélancolie et émerveillement, à la recherche du silence et du retrait du monde pour être en symbiose avec les éléments. La faune et la flore, le rythme des saisons jusqu’à la rigueur des hivers, au pied des montagnes du Massif Central… et une terre ancestrale avec une topologie faite de collines et de rivières, jusqu’aux contreforts des Causses. Passionné d’histoire, il restera très attaché à cette région, ancienne terre des Templiers et riche d’un passé industriel – “dans le cuir à Graulhet, le charbon avec le bassin houiller de Carmaux, et les métaux à Durfort, ville berceau de la dinanderie”. D’ailleurs, ne va-t-il pas grandir à seulement 1 km d’une mine de Spath Fluor où il travaillera les étés ? “J’avais toujours sur moi des pierres de chalcopyrite qui est le dérivé du cuivre natif…” comme si la Providence annonçait déjà dans ces cristaux aux mille couleurs, sa vocation future.
Il lui fallait trouver sa voie malgré la pression sociale. “Je voulais travailler de mes mains, mais pas en les vouant à des tâches techniques industrielles. J’ai donc persévéré pour entamer mes études dans un cursus classique”. Diplômé de l’IFAG, il entre dans un cabinet d’études pour gérer des projets thermiques. Mais tout va basculer quand il décide de restaurer sa maison, une ancienne métairie datant de 1720, avec des techniques traditionnelles. “Je voulais enlever le béton et reconstruire un mur romain et retrouver les matériaux d’antan”, ce qui va le mener chez Jean-Jacques Bonnafous, le dernier chaudronnier en activité à Durfort. Une révélation ! L’odeur du cuivre le saisit dès le premier contact, puis les possibilités de la technique réalisés avec un simple marteau que l’on aurait pu utiliser il y a des siècles en arrière. “Pour mon esprit cartésien technique c’était quelque chose d’exceptionnel. J’avais déjà vu d’imposantes machines de presse sur des sites industriels, ; mais là je me retrouvais avec la main de l’homme et un marteau qui étaient capables à deux de faire des choses folles et cela m’a transpercé !”
Il fera ses premiers pas dans ce métier ancestral que plus personne ne pratique. “Et très vite, j’ai voulu sauver ce savoir-faire, en l’amenant vers une dinanderie d’art moderne.” Jonathan quitte son travail pour s’y consacrer pleinement et se former auprès d’Olivier Courtot, Compagnon du Devoir et Meilleur Ouvrier de France. “J’avais enfoui dans mon monde intérieur une créativité toute pure, qui explosait littéralement. Et je travaillais nuit et jour, sans aucune déperdition d’énergie, pour ingérer ces gestes authentiques, et ces techniques minutieuses où la concentration de chaque instant est poussée à son paroxysme.” Hasard ou Providence, il va aussi trouver un lot d’outils de dinandier des années 50 auprès d’un collectionneur à Orthez. Tout est désormais prêt pour qu’il se lance.
Dès 2018, Jonathan Soulié commence donc à transformer, via des techniques de frappe, des plaques de cuivre, laiton, aluminium ou étain en œuvres d’art. Il travaille d’emblée plusieurs registres : luminaires, sculptures, meubles, objets ou aménagement d’intérieur, pour une clientèle ciblée, mais surtout pour des professionnels (galeries d’art, architectes d’intérieur…). Très vite, il va pousser son art dans une nouvelle dimension, en lui donnant la finesse des arts décoratifs contemporains, et la grâce des œuvres haut de gamme. “Je pars toujours d’un dessin et tout arrive à moi par la suite. La forme d’une courbe, un mot qui résonne, une réalité de la nature que j’exprime…” Et cela s’entremêle à la technique de la dinanderie, et il est l’un des derniers à continuer de refermer entièrement une forme sur elle-même sans soudure, en utilisant plusieurs dizaines de tas, de marteaux et de maillets différents. “J’y tiens par fidélité pour ceux qui me l’ont transmis et parce que je suis à mon tour un maillon dans cette chaîne de transmission.” Il laisse ensuite le métal à nu ou l’habille de feuilles d’or, ou encore d’une couleur inédite en mariant les matières brutes, les laques et les patines pour créer de nouvelles nuances lumineuses.
Ainsi, dans son atelier où veillent sur lui les vieux outils des artisans d’antan, Jonathan Soulié perpétue les gestes traditionnels de ce métier en s’en affranchissant, pour créer tous les possibles. “Avec le temps, j’ai appris à être délicat pour obtenir de la matière ce que j’ai envie qu’elle me donne.” Une association qui porte ses fruits. Guidé par une intuition et une réceptivité sans borne, l’artiste mis en avant par la prestigieuse Fondation Michelangelo, exprime la quintessence de son art dans un martelage plein d’énergie, de délicatesse et de rondeur. “Être ancré dans ces gestes techniques tout en voyageant dans ma créativité, me donne un équilibre où je deviens un instrument à mon tour, pleinement libre.” Et ses œuvres, chargées d’énergie par cette conscience déployée en elles, nous entraînent dans une ode au monde et au renouveau, dans des formes comme l’œuf ou le vortex par exemple, subtiles et poétiques…
Jonathan Soulié continuera de créer dans ces cinq domaines de prédilection. “En naviguant de l’un à l’autre, je progresse énormément : humainement et techniquement. Et ce métier est si complexe, que je suis heureux d’avoir constamment de nouveaux défis.” A présent, il sculpte une pièce où il a réalisé une oxydation ; une technique unique qui lui a permis de gagner le prix Ateliers d’Art de France pour la région d’Occitanie… Dans ces projets, il y a également un déménagement prévu en 2022 avec un nouvel atelier où certainement son art va prendre un nouvel envol. “J’ai fini par accepter la lumière braquée sur moi, mais je préfère sincèrement être en repli. Il en est de même de mes œuvres. Les exposer en peu d’endroits, mais avec des professionnels qui sauront mettre en avant mon travail et l’expliquer. C’est primordial pour moi !” Il a désormais la confiance d’un galeriste qui l’aide à évoluer dans son positionnement haut de gamme avec l’exigence, non seulement dans son métier, mais aussi dans la triangulation dynamique : artiste, œuvre et spectateur ; des détails qui vont lui permettre désormais d’obtenir une sorte de communion avec le potentiel acquéreur. “Il est vrai qu’il me permet de trouver différents chemins qui m’apportent de la stabilité dans mon activité.” Puis ce projet qui lui tient à cœur : aller à la rencontre des enfants dans les écoles primaires, pour leur expliquer son métier rare et ancestral ; puis comment il a appris les techniques traditionnelles pour s’en affranchir et en faire des outils pour révéler sa nature profonde. “Il est si important de se souvenir de l’enfant que nous avons été !” Devant les yeux émerveillés de ces chérubins qui découvrent la dinanderie avec la Statue de la Liberté ou les casques gaulois, il revisite lui-même son parcours de vie, témoin de cette transformation profonde qui l’a conduit à ce qu’il est devenu aujourd’hui.
Décidément, il est fait d’un autre métal ! Dinandier, artisan d’art, designer et artiste, Jonathan Soulié questionne sans cesse la nature et en reçoit les signes. Son art est une sorte de réponse, et comme Brancusi, il en révèle la beauté à travers les formes mère du vivant. Il a désormais sa technique maîtrisée, assez pour exprimer ce qu’il veut exprimer, assez pour se laisser aller, dans un acte d’attention humble, dans le silence des battements. Et son public est ému par tout ce qui émane de ses œuvres : l’amour et la conscience, la force de vie, dans un équilibre qui ramène à la Source infiniment intelligente, aimante, qui sonde les mystères du cœur humain.
Propos recueillis lors d’une interview réalisée par Carine Mouradian le 21 janvier 2022
Lien vers le site de Jonathan Soulié