Il a tout d’un grand. La stature, la voix posée et le regard humble et pétillant, puis des projets en grand qu’il mène avec l’ingéniosité de l’électronicien et la sensibilité de l’artiste. Alain Pers semble d’ailleurs porter en permanence la lumière, celle-là même qui l’a conduit un jour à scruter la matière et les cristaux et de là, à sculpter le temps de mille et une manières. Son désir intense de beauté et son besoin de représenter toutes les facettes du réel se transmettent aujourd’hui dans des œuvres d’une grande créativité. Actuel et futur, passé et présent, le monde devient un terrain de découvertes et de rencontres pour cet artiste passionné et atypique, qui embrasse les secrets de la matière lumineuse pour fabriquer des œuvres vivantes et poétiques.
Rien ne le destinait vraiment à cette carrière et pourtant, tout l’y préparait. Une enfance rurale dans le Cantal avec des parents agriculteurs, qui travaillaient la terre. “Je ne sais pas d’où ça vient mais je sais que j’ai toujours voulu faire cela”. Curieux et précoce, il observe très tôt les éléments naturels et notamment le vent et construit des éoliennes et des moulins. Je voulais utiliser “cette force naturelle et gratuite, mais parfois compliquée à gérer” pour mettre en mouvement des objets. Alain cherche aussi à comprendre les matériaux et leur résistance aux forces de la nature, un apprentissage à la fois technique et spirituel qui développera son ingéniosité et une grande sensibilité aux pulsations et aux rythmes naturels. A l’âge de 16 ans, dans l’atelier familial, il commence à détourner l’électronique sur laquelle travaillait son frère aîné pour créer des objets animés. L’arrivée de la diode électroluminescente, la LED, au début des années 60 marquera un tournant dans sa vie. “J’étais fasciné par cette lumière d’une si grande pureté. A partir d’un semi-conducteur, d’un cristal, elle produit un rayonnement avec une seule longueur d’onde et donc une seule couleur au final. C’est fabuleux !”
Et il commence à vouloir travailler ce matériau lumière pour créer des objets et des formes, en restant partagé entre deux sujets : l’électronique et l’art et le design. “Et comme j’étais un peu dans le désert, que je n’avais pas de points de repère dans les arts, alors j’ai fait des études dans l’électronique, puis le design industriel et je suis parti travailler dans l’industrie aéronautique.”
Cette soif le poussera de nouveau vers les Beaux-Arts. Alainpers prend des cours du soir avec la Ville de Paris pour apprendre le design et l’art. “J’avais toujours cette passion de créer et cette grande curiosité. Elle m’a permis de rencontrer des agences de design vers 27 ans. » Il va alors tout quitter pour travailler dans une agence de design, et assouvir enfin son «envie viscérale de découvrir et travailler les volumes et l’espace.” A ce moment-là, le temps devient un fabuleux prétexte, car l’artiste veut travailler la lumière et la mettre en mouvement. Un temps qui devient lumière qui vibre, qui marque des points visibles et qui passe. Il devient donc naturellement créateur d’horloges lumineuses en mettant l’électronique au service de son art. Ses premières œuvres arrivent dès 1989. “Des objets, des horloges, des tableaux, mais aussi des sculptures monumentales et des installations d’art contemporain à l’échelle de la ville”. Ses créations sont innovantes et poétiques sur le thème du temps. Une clepsydre géante par exemple pour la cour d’entrée d’un collège à Rueil Malmaison, où Alainpers travaille le verre soufflé, les diodes lumineuses ou encore les grés cérame, pour représenter l’écoulement du temps à travers l’eau, la lumière et les savoirs.
“A chaque fois, c’est un défi et j’aime me surpasser.” L’artiste apporte aussi la nouveauté dans l’utilisation des matériaux comme la pierre de lave polie et le verre sablé pour créer des formes inattendues, ou plus récemment, le cristal, à la fois comme support de l’horloge et l’horloge elle-même avec le cristal de quartz qui rythme le mouvement avec des diodes électroluminescentes.
Les œuvres d’Alainpers vont se succéder en France d’abord, puis dans le monde entier avec des grands hôtels en Suisse par exemple et des projets monumentaux en Asie (Taipei, Shanghai) et au Moyen-Orient. Il réalisera même une commande spéciale d’horloges en laiton gravé et or, avec un socle en cristal et des feuilles d’or de Murano pour le 3ème sommet de l’OPEP. Cette œuvre originale sera réalisée en 105 exemplaires, pour donner l’heure des 12 pays membres avec la position du soleil dans le monde. A la fois objet utile et œuvre d’art, les sculptures d’Alainpers donnent à voir et à penser le temps autrement : Lune et Soleil, Midi quelque part sur la terre, Lever du temps, La naissance du temps, les voiles du temps, Temps courbe… “La matière et l’électronique sont au service de mes créations et non l’inverse. Je n’y mets aucune limite et à chaque fois, je trouve les artisans qui auront l’audace et sauront faire.”
Simple objet ou projet monumental, Alain reste toujours le même. Perfectionniste, soucieux des détails et visionnaire pour proposer des créations nouvelles, en écoutant chacune de ses inspirations. “Je peux créer dans mon atelier à partir d’une idée personnelle, ou imaginer pour une commande en allant sur les lieux ou d’après plan. A chaque fois, c’est une pièce esthétique qui sort de l’ordinaire avec une équipe derrière.”
Au gré de son art, Alainpers va aussi se pencher et visiter tous les concepts du temps, qu’ils soient historiques, scientifiques ou spirituels. Artiste inspiré et curieux, il veut comprendre “cette histoire du temps absolument fabuleuse de découvertes, avec un aspect sociologique, tout au long de l’évolution de l’homme.” Du cadran solaire antique avec les gnomons à l’horloge atomique aujourd’hui, en passant par le pendule “qui mesure les longitudes et permet d’aller à la conquête du monde”, son apprentissage se fera au fur et à mesure de ses rencontres, de ses lectures et de ses projets de création. Il devient ami avec des penseurs et des scientifiques, et notamment des chercheurs qui explorent la matière, le temps et la lumière. “Un jour, un éminent physicien m’a dit que ma dernière création illustrait les principes de la mécanique quantique. Pourtant, je voulais juste créer une pièce qui évolue de cette façon-là. Alors j’ai commencé à m’y intéresser.”
L’utopie du mouvement perpétuel, les théories de la relativité générale ou le néant derrière toute matière, Alain va encore plus loin en proposant des œuvres qui actualisent les connaissances et repoussent les limites du savoir. “La flèche de temps par exemple qui reste une énigme pour les scientifiques avec un univers en expansion ou en explosion”, et même des œuvres au-delà du temps qui interpellent et ouvrent à la contemplation. Par exemple, une série de tableaux «vivants » où survient de manière aléatoire un mouvement de lumière indiquant la seconde ou la minute, sans plus aucun lien avec la mesure horaire universelle. “Finalement, la vraie sagesse n’est-elle pas de se détacher du temps ?”
Avec une énergie et un potentiel incroyables, Alainpers continue d’impressionner par son art, et jouit désormais d’une liberté totale ayant dépassé le concept du temps. “Ma plus belle œuvre c’est la prochaine avec de nouvelles séries qui ouvrent encore plus les champs des possibles.” Et on retrouve cette étincelle de joie immense, celle-là même qui lui donne l’envie depuis l’enfance de réaliser des objets vivants où lumière et temps s’unissent aux battements du moment présent.
Propos recueillis lors d’une interview réalisée à Paris le 22 avril 2017