Il compose avec la lumière car son métier est photographe, « celui qui écrit avec la lumière ». Et bien plus : elle l’a choisi, instruit et l’accompagne depuis 36 ans, en Californie puis dans de nombreux pays du globe, jusqu’aux demeures et jardins remarquables de France. Humble et incroyablement doué, Éric Sander est avant tout un passionné, amoureux de la nature et des relations humaines, qui a consacré sa vie à la beauté, celle cachée dans les petites choses qui nous entourent, là où recèle un trésor inestimable d’instants immuables et de moments d’éternité. A la fois explorateur, photoreporter et interprète conteur, il n’a de cesse de créer des histoires avec des clichés sublimes qui font de son œuvre un roman extraordinaire de toute beauté. Sur les terres de Dordogne où il a enfin trouvé son enracinement, il travaille aujourd’hui à la manière d’un Monet, à sublimer la beauté alentour et rassembler ses merveilleuses images pour les donner en partage au monde.
Éric Sander est né à Fort de-l’Eau près d’Alger. Il est le fils aîné d’un père d’origine Lilloise, militaire puis général dans l’armée de l’air, et d’une mère d’origine belge, qui élèvera ses cinq enfants. Il reçoit là une éducation stricte mais le tempérament de sa mère nourrira son immense besoin de sensibilité et de douceur. “Regarde la nature, les petites fleurs, me disait-elle souvent”. Et Éric apprendra à les contempler et y trouver sa joie. De retour en France à l’aube de ses 6 ans, il grandit à Bougival, rue Claude Monet. Une consolation pour ce petit garçon romantique qui découvre à la télévision les aventures de Zorro, Robin des Bois et Thierry la Fronde, “tous ces héros courageux et altruistes qui agissent dans l’ombre en faisant le bien pour les autres. Des rebelles positifs en quelque sorte que j’admirais !”
Timide, c’est un enfant un peu à l’écart, mais très curieux et observateur. “J’étais solitaire, mais solidaire avec mes camarades”, et il cumule les prix d’excellence mais seulement dans les matières qui l’intéressent : le dessin, les travaux manuels, la gymnastique et la géographie. “Je me souviens avoir été longtemps nostalgique, et je dessinais constamment des villages comme si je cherchais le mien.” Ce lieu, il le trouvera à 17 ans alors qu’il supervise un groupe de jeunes lors d’un séjour en pleine nature en Dordogne ; et c’est là qu’il fera ses premières armes comme photographe.
Son bac scientifique en poche, il s’oriente alors vers des études d’architecture, mais le cursus trop théorique le lasse au bout de deux ans. “Je voulais partir pour mon service militaire, et prendre du recul pour discerner ma vocation. Là, à Djibouti, tout a changé !” Fusilier Commando, il va vivre des expériences incroyables avec le commandant de base qui le prend sous sa protection : vol en avion de chasse, en hélicoptère, en avion de transports, plongée sous-marine, une semaine avec la Légion Étrangère… “Et comme j’avais emporté l’appareil photo de ma mère, un FOCA, je prenais un réel plaisir à photographier ces péripéties.” Les Légionnaires sont conquis par son talent inné, et lui commandent bon nombre d’images, des diapositives à l’époque. De retour en France, Éric est un homme nouveau. “Une année de gagnée et non de perdue !” Il a soif à présent de découvrir, explorer et partager de nouvelles rencontres humaines, en ouvrant tous les champs des possibles. Sa carrière ne se fera donc pas dans le cadre classique d’une vie de bureau.
“La vie est faite de rencontres !” Deux mois avant de partir au service militaire, Éric se lie d’amitié avec le rédacteur en chef de l’agence Gamma, Floris de Bonneville. “Il avait une grande sensibilité tout en étant foncièrement journaliste, alors que j’étais plutôt dans le visuel. Nous avons entretenu une correspondance régulière et à mon retour en 1977, il m’a proposé de devenir son assistant.” Il va ainsi éditer pendant 6 ans près de 4 000 sujets à partir des images de photographes de renom comme Raymond Depardon, Sebastião Salgado et de grands reporters de l’époque. “Les reportages arrivaient à l’agence non développés : des centaines d’images en moyenne, et à chaque fois et je devais éditer le sujet en n’en gardant qu’une photo sur dix.” Ce travail aiguise son regard et lui apprend comment raconter une histoire en images. Très vite, il a envie de créer lui-même. Son premier sujet sera les noces de diamant de ses grands-parents au Château de Bellinglise. “J’ai récupéré des photos anciennes et les ai fait poser comme au jour de leur mariage ; puis avec leurs 16 enfants, leurs 66 petits-enfants et même les arrière-petits-enfants endormis dans le dortoir. On était 170 au total tous réunis.” L’histoire plaît et fait six pages dans France Soir Magazine, puis est vendue dans 15 pays. Son deuxième sujet concernera les parisiens qui vivent dans des péniches sur la Seine et de nouveau, il fait six pages dans le Figaro Magazine. “Je n’étais pas dans le feu de l’actualité mais cela ne me gênait nullement. Je cherchais des sujets de fond, des histoires positives, avec de vraies rencontres qui font grandir mutuellement.” Encouragé par ces deux succès, Éric démissionne pour se mettre à son compte. Il sera désormais photojournaliste indépendant.
“Un reportage qui m’a marqué c’est celui de ce Monsieur italien de 91 ans qui était copiste au Louvre. Depuis 1928, il y allait chaque jour en costume trois pièces, avec son chapeau mou et sa canne de bambou accroché à son chevalet, et il avait déjà copié la Joconde plus de 200 fois. Nous avons développé une belle amitié et pour le dernier jour, je l’ai emmené au Clos Lucé, dans la chambre de Léonard de Vinci et là, je l’ai vu pleurer.” C’est cela désormais sa signature. Proposer des sujets consistants où l’on apprend à connaître des personnes de l’ombre ou des personnes célèbres sous un angle différent, ou encore des excentriques, “ceux qui ont une vie différente et hors du commun, et qui sont allés au bout de leur passion.”
C’est à ce moment-là qu’Éric, jeune marié, décide de partir à l’aventure avec Claire, sa femme. Avec un boîtier et deux objectifs dans sa valise, il met le cap sur la Californie où il restera au final seize années, de 1985 à 2001. “J’ai vécu une expérience à part et appris que dans la vie, tout est possible ! J’avais à portée de main une mine d’or d’histoires extraordinaires à photographier, avec l’avantage d’être le seul sur ce créneau, car tout le monde était tourné vers les news et le show-biz.” De nombreux portraits vont suivre : un homme qui vit en Robinson à Malibu dans sa maison surplombant le Pacifique; un retraité qui ressemble tellement au Père Noël qu’il le devient vraiment, une dame passionnée de violet avec tout décliné dans cette couleur chez elle, jusqu’à la musique de sa sonnette d’entrée « Deep purple »… Éric réalise aussi des reportages de fond sur l’aéronautique, les inventions médicales, les nouveaux sports, la Biotech Valley, le premier grand prix de voiture électrique, l’arrivée des maillots de bain en néoprène ou les inventeurs de vélos avec le plus grand tricycle du monde, un sujet décalé dans l’état où l’automobile est reine. “J’aime l’esprit de contradiction et les défis : j’avais installé dans les vélos des lumières avec des déclenchements à distance à la tombée du jour pour montrer quelque chose de totalement surréaliste.”
Créatif, hyperactif et touche-à-tout, Éric va aussi photographier des personnalités : Tony Curtis à qui il rendra visite à Hawaï pour sa passion cachée : la peinture ou Peter Falk, à six reprises, qui pratiquait le dessin au fusain. Sur place, il devient le correspondant de célèbres revues françaises (VSD, Figaro Magazine, Grands Reportages, L’Express…) et travaille aussi pour la presse américaine (Time Magazine, le Smithsonian Magazine …) et pour des entreprises prestigieuses et des hôtels de luxe. L’œil averti et avec une parfaite maîtrise de son art, cet épicurien perfectionniste se déplacera également dans de nombreux pays du monde, et partout, il capte et fige la beauté et la magie des moments précieux. Dans son immense collection de diapositives et photographies numériques (près de 400,000), des portraits d’environnement ou des paysages époustouflants. “J’étais insatiable avec la réalisation de plusieurs reportages par semaine. Mais à un moment, j’ai eu besoin de changement et on a décidé de retourner en France. ”
En prenant ses premières vacances dans le Périgord, il visite alors les jardins de Marqueyssac : 22 hectares de domaine privé parsemé de buis centenaires taillés avec élégance. “J’ai tout de suite aimé cette ambiance poétique avec les belvédères, les promenades et théâtres de verdure.” Rapidement, il devient le spécialiste des jardins pour le magazine Point de vue. Suivront sa rencontre avec le paysagiste Louis Benech, puis l’architecte d’intérieur et décorateur Jacques Garcia, avec lesquels il travaillera de nombreuses années, illustrant des livres publics sur leurs œuvres et des livres privés sur celles de quelques clients. Ses photographies valorisent aussi les vieilles pierres et les demeures d’exception de grandes familles internationales et de capitaines d’industrie. “Photographier les jardins est beaucoup plus instinctif car le cadrage, l’objectif, la lumière, la couleur, le sujet sont rapidement à ma portée. Pour l’intérieur, il faut que tout soit parfait dans les moindres détails.” Une grande et rare polyvalence pour un photographe professionnel et finalement, deux activités qui sont complémentaires : les jardins et la nature aux meilleurs lumières de la journée et les prises de vue à l’intérieur aux autres heures.
Un changement majeur s’opère également dans sa vie avec un voyage intérieur à la rencontre du Christ. “Moi qui ne comprenais pas le sens des calvaires aux entrées des villages, j’ai commencé à les prendre en photo et ce face à face m’a profondément touché et m’a conduit vers la beauté de la Création, et notamment la nature sous toutes ses formes et saisons.” Il crée alors des vidéos « Une minute de beauté » et des opéras d’images qui sont présentés lors de ses conférences. Des cascades ruisselantes, une clairière aux aurores, la majesté des cimes enneigées, la quiétude d’une mer d’azur, la délicatesse d’une fleur qui éclot, les yeux des enfants du monde… On est emporté dans un spectacle sublime qui révèle la beauté vibrante et harmonieuse de notre univers. Conscient de cet héritage à transmettre, l’artisan de la lumière projette, pour notre plus grand bonheur, d’éditer bientôt quelques ouvrages plus personnels : un album empreint de poésie sur « les plus beaux matins du monde », le moment de la journée qu’il préfère, et un livre illustré avec les portraits de ces gens ordinaires mais si extraordinaires, rencontrés dans sa carrière.
Éric Sander est aujourd’hui comme un arbre enraciné dont la sève puise dans les innombrables moments de grâce de sa vie, pour donner son fruit propre. Le sien est de mettre en musique et transmettre cette œuvre si riche faites de rencontres et d‘instants intemporels qui parlent si bien du miracle de la vie. Lui qui a toujours baigné dans la lumière, a travaillé avec elle partout où il fut envoyé, il a ce message unique à transmettre à toutes les générations : celui de prendre conscience de la beauté présente au milieu de nous, dans les relations humaines et dans la nature. Porter son attention, regarder et goûter avec nos sens éveillés. Alors s’ouvriront nos yeux et nos cœurs pour l’apprécier, la respecter et la protéger. C’est là le chemin de la vraie vie !
Propos recueillis lors d’une interview réalisée par Carine Mouradian
Lien vers le site de Éric Sander