Il a repris l’affaire familiale, et c’est une vraie résurrection opérée depuis 15 ans, afin de redonner ses lettres de noblesse aux ateliers Pinton. Former, développer, rebâtir en construisant sur les fondations de l’entreprise, riche de son histoire, son savoir-faire et ses hommes. Innovant et visionnaire, Lucas Pinton est un jeune entrepreneur dont le secret est de moderniser, avec instinct et humilité, le précieux héritage de sa maison. Et tout lui réussit : de la moquette sur-mesure aux tapis d’excellence avec des motifs et designs modernes, jusqu’à cette alliance, au cœur de l’identité de la marque, avec des artistes renommés, pour raviver les couleurs de la tapisserie contemporaine.
“Je suis de la cinquième génération.” Fils unique parmi trois sœurs, Lucas naît dans la famille Pinton, spécialisée dans le textile, le tapis et la tapisserie. Il va grandir en banlieue parisienne, loin de l’entreprise basée à Felletin, dans la Creuse. “Dans ma petite enfance, je ne connaissais pas bien ce métier car je n’y allais pas souvent ; pourtant, il y avait comme un lien inconscient qui me reliait à l’entreprise familiale.” On appréciait beaucoup les tapisseries et les beaux tableaux dans sa famille. “Mon œil a sans doute été aiguisé à ce moment-là.” Des rencontres et échanges artistiques de son père et de son grand-père, lors la réalisation de tapisseries murales, il en garde un souvenir impérissable. Une période florissante où les ateliers Pinton produiront des œuvres d’art en séries très limitées, en collaborant avec des artistes célèbres comme Jean Lurçat, Sonia Delaunay, Fernand Léger, Marc Chagall ou Alexander Calder. “J’ai retrouvé beaucoup de photos et de correspondance, et ils venaient tous dans la propriété familiale. Alors, j’ai compris qu’on avait une légitimité et une histoire unique à poursuivre.” Il va entreprendre des études d’économie générales à l’Université de Paris Assas ; puis un stage au sein des ateliers Pinton où il découvrira tous les métiers. Mais rien ne le prédestine encore à reprendre le flambeau. Le déclic viendra par la force des choses. Son père avait des bureaux à Paris où il faisait de la moquette. En 1999, il décide de les vendre pour se recentrer sur la tapisserie et le tapis. Les problèmes financiers ne s’arrangent pas pour autant ; et en 2002, il dépose le bilan. “Tu ne voudrais pas reprendre l’affaire ?” C’est à ce moment-là que Lucas Pinton, tout juste âgé de 23 ans, dira oui. Un défi personnel et familial l’attend.
“Il ne faut pas voir cela comme une tragédie. Les entreprises de 150 ans ont toutes vécu des périodes fastes et des moments difficiles.” C’est avec cet état d’esprit que le jeune héritier s’investit dans le monde du tapis et de la tapisserie. Fondée en 1867, sa maison a un long passé derrière elle. Son fondateur, Jean Pinton, était un entrepreneur qui voulait développer une activité économique dans le bassin d’Aubusson. Car il y avait là tous les éléments réunis pour bâtir une entreprise de tapisserie : une main d’œuvre de qualité à prix compétitif, de la laine et la technique de la teinturerie, en plus du patrimoine historique de la ville d’Aubusson connue mondialement pour ses tapisseries. Son grand-père paternel, qu’il ne connaîtra que très jeune, va marquer de son empreinte la société. “En 1929, il n’avait plus qu’un seul salarié. Et il a su relancer l’activité en s’associant avec des artistes.” Il va aussi diversifier les produits et la technique, pour diriger jusqu’à 150 personnes à la fin des années 1980. Lucas Pinton veut s’inspirer de cette réussite. Il démarre avec courage, le développement de son marché. “Au début, j’ai fait du commercial en répondant à des appels d’offres de grandes boutiques de luxe.” Puis il se recentre sur les gênes de l’entreprise, à savoir la réalisation de tapisseries d’art. “J’ai commencé à m’associer avec des artistes car ce segment a de l’avenir et c’est là notre identité.” L’espoir et la passion portent ses fruits. De 7 employés au départ, l’entreprise a retrouvé sa pleine activité, avec une diversification de ses marchés et une ouverture à l’international. Aujourd’hui, elle est la référence en matière de tapis sur-mesure et de tapisserie d’Aubusson, avec des partenaires, des fournisseurs et des employés qui participent pleinement à son rayonnement. En 2009, les ateliers Pinton décrochent le label EPV, Entreprise du Patrimoine Vivant, pour l’excellence de leur savoir-faire, l’innovation et leur souci de transmission.
L’entreprise est organisée selon deux pôles : Pinton Manufacture pour la décoration de luxe, et Pinton Edition dédiée à l’art contemporain. Ensemble, ils mettent en exergue les techniques séculaires d’un métier artisanal, comme la basse lise ou le tufté main. “Le tapis est d’abord un produit qui va au sol, et l’on marche dessus. Il délimite une pièce ou un espace ; et pour la moquette, c’est de mur à mur.” Le côté décoratif est donc important, mais aussi toutes les qualités techniques pour jouir de cet usage. “On tend une toile en coton sur un cadre, et à l’aide d’un pistolet à aiguilles tenu à la main, on implante la laine brin par brin dans la base. Cela peut être aussi du cuir, des fibres naturelles ou des fils d’or, selon les modèles dessinés au préalable sur un carton.” Cette technique du tuftage main est donc un art qui exige un niveau élevé de savoir-faire à chaque étape de la création du tapis. Il permet d’apporter une multitude de possibilités en termes de motifs et de formes, “et surtout de permettre une personnalisation des matières, des couleurs et des tailles. 90% de la production Pinton est d’ailleurs du sur-mesure, avec des prix pour tous les budgets. Et c’est là la valeur ajoutée pour les clients, en plus de la signature. Ulrika Liljedahl, la designer phare de la marque, a contribué à cette modernisation. Elle a lancé depuis 2007 plusieurs collections en y apportant une touche Haute Couture dans le tapis. « Après la pluie » par exemple est une grande réussite. Dans le show-room parisien, certaines de ses créations seront exposées en janvier lors de l’évènement Déco off 2018.
Pour la moquette, la fabrication est plus mécanique, mais on utilise là encore des techniques ancestrales comme le procédé de tissage Wilton ou Axminster. Le choix des matières premières est primordial, en privilégiant toujours la production locale et la fabrication française. “C’est un circuit court. Tout vient de France : le cuir et le caoutchouc, la laine et le coton de la Creuse, les fils d’or de Lyon et pour la soie, on va la chercher en Suisse et en Italie.” La filature et la préparation des fils est faite à Felletin même, à 5 minutes de l’entreprise et une relation très forte unit l’entreprise à ses fournisseurs. Comme pour les tapis, un bureau de design en interne crée des collections et les lignes sont renouvelées chaque année, en fonction des salons. “Cela permet, à partir d’un échantillon, de personnaliser l’offre avec les clients privés, les décorateurs et les architectes d’intérieur.” Au-delà du Résidentiel, Pinton Manufacture travaille aussi pour des marchés spécifiques comme les yachts et les avions privés, ou les milieux institutionnels comme les ambassades et les ministères. Il exporte aujourd’hui en Europe, aux Etats-Unis, au Moyen-Orient et en Russie, avec des développements futurs comme l’ouverture de show-rooms pour une présence locale.
“La tapisserie, c’est un mural et artistique. C’est un panneau qui réchauffe et donne une ambiance à une pièce, mais c’est uniquement visuel.” La technique de tissage est alors différente et on utilise la basse lisse, celle-là même utilisée pour la tapisserie d’Aubusson. Elle date du XVème siècle où sur un métier horizontal, on tend une chaîne en coton. On met ensuite le carton qui représente l’œuvre d’art et le lissier tisse sur cette trame entièrement à la main. “Je compare très souvent cela à un opéra, où il y a le compositeur qui est l’artiste commanditaire de l’œuvre. Puis le chef d’orchestre qui est le cartonnier. Il agrandit la maquette à la taille d’exécution de son métier. Enfin, les musiciens qui sont les lissiers. Ce sont eux qui réalisent la tapisserie en interprétant le carton pour les couleurs, les dégradés.” Lucas Pinton a toujours misé sur le développement de ce marché d’art, qui peut être spéculatif. Aujourd’hui, c’est devenu une vitrine pour les ateliers Pinton avec des galeries, des artistes et des collectionneurs. La maison fait aussi des tapis d’édition en exemplaires limités qui sont exposés pour montrer le savoir-faire, l’esthétisme et mettre en avant une collaboration à quatre mains avec un artiste. “Dans l’imaginaire collectif, on pense souvent à des verdures quand on parle de tapisseries. C’est à nous de montrer que la tapisserie contemporaine a sa place, avec des motifs modernes et des artistes contemporains.”
Pari réussi car la tapisserie devient tendance, grâce notamment aux créations des ateliers Pinton qui a su travailler avec des artistes remarquables comme Enzo Cucchi, Joe Tilson, Lionel Jadot ou David Tremlet. Les derniers tombés de métier ont même concerné Fernando Botero et Etel Adnan, très côtés sur le marché de l’art. Cela permet toutes les audaces et spéculations. Mais Lucas Pinton garde la tête froide. Son seul désir est de continuer l’aventure en avançant dans le développement, avec qui sait un jour la signature de sa marque près d’Anish Kapoor.
Propos recueillis lors d’une interview réalisée à Paris, le 8 décembre 2017
Lien vers le site des Ateliers Pinton