On entre chez Vincent comme dans la mythologie grecque. Entre le dieu du feu, Héphaïstos, et le dieu des échanges, Hermès, tous les deux amoureux de la belle Aphrodite, déesse de la créativité. Souffleur de verre aux mille talents, il est insolent de fraîcheur devant les fours brûlants de son immense atelier de campagne. Et, comme à ses premiers amours, l’artiste s’enflamme et danse avec les flammes, pour transformer cette matière incandescente en fusion, sensualité des formes et jeux de transparence. Ce passeur si attachant est aussi un faiseur de rêves, pour les artistes et dans ses propres créations, sublimant de ses sens le réel, qu’il capte et pénètre de ses créations translucides, afin de questionner nos perceptions et l’impermanence du monde.
Brussieu abrite son lieu de travail, “le plus grand atelier de verre chaud privé en France”, et bientôt une référence en Europe. Ici, c’est la campagne aux abords de Lyon et un retour aux sources de l’enfance. “J’ai grandi aux Pays Bas, dans une ville urbaine ; Cela a nourri chez mes parents le désir d’une vie nouvelle, au plus près de la nature.” Il a 12 ans quand son père, devenu peintre sculpteur, liquide son entreprise et s’installe avec sa famille en France. Vincent garde intact la mémoire de son arrivée “dans un village de 300 habitants, avec un retour aux fondamentaux.” Par ses origines néerlandaises, il reconnaît aussi son besoin naturel de respecter l’environnement et communiquer en toute transparence. “La France est mon pays d’adoption et il n’y a rien de plus beau que de vivre dans ce pays-là.” Ici, il a choisi de vivre avec sa propre famille dans une continuité, avec les valeurs d’épanouissement de soi et d’authenticité voulues dans sa prime enfance.
Aîné d’une famille d’artistes, Vincent décide de s’orienter vers le dessin dès l’âge de 16 ans. Il fera un bac d’Arts Appliqués, puis se formera avec un BTS de design industriel car “l’objet était plus intéressant en volume qu’en deux dimensions.” Mais à 22 ans, ne se sentant pas appelé à travailler dans des bureaux d’études, il décide de rentrer dans une école d’art “pour aborder la création d’une manière plus large”.
C’est à l’atelier de verre soufflé de l’Ecole des Arts Décoratifs de Strasbourg, qu’il a littéralement un choc. “A 22 ans, je n’avais jamais su qu’on pouvait souffler du verre. J’ai entendu un bruit sourd, un ronronnement qui m’intriguait et je suis allé voir ce qui se passait.” Ce jour-là, un verrier québécois, Gilles Désaulniers, remarque les étincelles dans ses yeux à la vue de cette matière en fusion. Il va prendre cette voie et apprendre très vite. Puis avec une curiosité insatiable, il ira faire le tour de France et d’Europe, pour trouver des maîtres et apprendre le métier au plus près de la vie des ateliers. “J’avais soif de maîtriser la technique pour arriver à réaliser ce que j’avais en tête et je restais une semaine à trois mois dans chaque lieu”.
De retour en France, il devient l’assistant du verrier américain, Scott Slagerman, dans le célèbre Viaduc des Arts du 12ème arrondissement de Paris. “Il m’a énormément appris et à la suite de ces 3 années, j’ai voulu créé mon propre atelier.” La reconnaissance du public suite à une œuvre personnelle, va aussi l’y encourager. “Mon maître étant souvent en déplacement et, au lieu de l’attendre, j’ai récolté un jour les chutes trouvées dans sa poubelle et j’ai voulu bricolé avec.” Il assemble, déforme et coupe pour faire ses premiers verres autour de la notion de bouquet. Le résultat fera le tour de la presse. “Quand on boit du vin, on parle de bouquet du vin. Alors je me suis dit : Pourquoi ne pas faire un bouquet de verre !” L’œuvre insolite est un ensemble de verres bouquets un peu tordus, comme une sculpture de centre de table. Et quand on retourne le verre, cela fait un vase pour mettre un petit bouquet dedans. “J’ai donc joué sur cette notion de bouquet en faisant un verre multifonction qui soit en même temps poétique.”
Il part alors s’installer dans le quartier historique du Vieux Lyon. Deux ans après, il transfère son atelier en banlieue et ferme le show-room de la zone piétonne en 2009 “pour se consacrer pleinement à la création et la production de pièces uniques”. Vincent Breed travaille depuis 2001 avec des artistes, décorateurs et architectes renommés du monde entier et ses œuvres sont exposées de Hong-Kong à Monaco, en passant par le musée de verre de Murano. Depuis 2014, il conçoit toutes ses pièces dans son atelier de Brussieu.
Ce qui frappe chez Vincent, c’est son regard amoureux qu’il porte toujours, comme à ses débuts, “sur la matière extrêmement sensuelle qu’est le verre chaud”. Sortie du four à 1200 degrés, elle est semi-liquide “et me capte par sa luminosité, son côté incandescent et sa rondeur.” C’est aussi une matière qui a une consistance propre “avec une vraie vie, une vraie volonté et une mémoire aussi”. En effet, le verre chaud ne tolère pas l’erreur, et c’est cela aussi qui plaît à l’artiste. Finalement, une relation fusionnelle et un tour de danse d’une grande volupté. Dans un premier temps, Vincent souffle et introduit une bulle, puis il accumule de la masse en jouant sur les couleurs. Ensuite, il développe pour donner la forme. Et là, “elle répond à mes gestes ; à la force, à l’intensité et toute l’énergie que j’y mets.” De la main gauche, on voit l’artiste gérer en permanence la rotation de sa canne, et de sa main droite, les yeux fermés, caresser le verre avec une infinie délicatesse pour l’accompagner dans sa naissance. “Tout est finalement si sensuel, si naturel et tellement doux !”
Les œuvres de Vincent Breed témoignent de l’intensité de cette rencontre. Ses objets, tout en rondeur, ont un rapport évident au corps humain. “J’ai des sculptures masculines et d’autres féminines et il y a souvent une rencontre : une forme qui rentre dans une autre.” Cela peut être une symbolique de l’union homme-femme, “mais c’est tout simplement une interaction entre deux éléments, le premier recevant l’autre, le second se donnant à l’autre. J’aime que ce lien, qui est extrêmement humain mais aussi naturel, soit aussi présent dans mes sculptures.”
Puis il y a le rapport à la réalité, car l’artiste veut nous interpeller sur le rapport, subjectif ou objectif, au réel. Le verre, d’ailleurs est une matière qui s’y prête bien, “puisqu’on peut se demander s’il existe vraiment (puisqu’on voit à travers).” Vincent aime alors introduire de l’ambigüité dans ses créations pour sortir du premier degré. Un exemple avec son projet d’installation de globes oculaires pour la Fête des Lumières à Lyon, finalement annulée en 2015. Sur une portion des quais du Rhône, il voulait présenter des yeux énormes qui s’allumaient les uns après les autres au rythme d’une respiration. “Ceci pour nous amener à réfléchir sur l’importance des yeux dans notre vie et du regard, le regard de chacun de nous, qui peut devenir un ensemble harmonieux au final.” Ou encore une de ses sculptures pour l’hôtel Murano, fréquenté par des stars. L’artiste va créer une série de sculptures avec des profils humains de 1m80 à 2m de haut, de toutes les corpulences possibles “pour faire un pied de nez aux dictats de la mode”.
Tout est partage et lien chez ce Maître verrier. L’œuvre d’abord, car il la conçoit vivante dans son environnement. Puis la relation avec le client qui est capitale dans sa création. “Chaque œuvre a besoin d’un contexte pour trouver du sens, et c’est cet échange qui va permettre de trouver l’inspiration.” Pour l’artiste, la création est d’ailleurs toujours destinée à quelque chose de précis et “c’est une fois sortie de l’atelier qu’elle commence sa vie propre. Il va donc donner naissance à ses sculptures de l’intérieur, pour que l’œuvre soit conçue de telle manière à ce qu’elle accueille l’environnement en elle. “C’est pour cela que je travaille beaucoup avec les inclusions d’argent et de métaux précieux dans le verre. D’une certaine façon, cela permet d’accueillir l’environnement comme un miroir.”
Convivialité, complicité et échange sont aussi omniprésents, et notamment avec les autres artisans verriers. Vincent Breed a initié avec d’autres passionnés, un projet associatif qui verra bientôt le jour, et qui permettra de regrouper tous ceux qui travaillent le verre en France. “Un concept unique avec tous les métiers associés : de la pâte de verre au vitrail, et toutes les parties prenantes : étudiants, galeries d’art, collectionneurs ou fournisseurs…” Enfin, son souci de l’autre le pousse aussi à la mutualisation de son atelier Lyonnais, “pour le réorienter vers des nouveaux modes de fonctionnement”. L’objectif est de partager les 6 postes de travail pour accueillir étudiants ou professionnels avec un vrai savoir-faire, mais qui ont une production saisonnière ou des motivations économiques. Cette structure donnera aussi de réelles perspectives de réussite aux jeunes qui sortent des écoles. Donner à tous cette possibilité de louer un atelier à prix modiques puis repartir avec leur production, “afin de leur permettre de vivre leur passion et en vivre ! ”
Vincent Breed est réellement un passeur de flamme. Par ses œuvres d’abord, qui ont la faculté de nous renvoyer à nous-mêmes. Par ses projets aussi et la manière de les aborder : toujours dans le lien, la recherche de sens et l’énergie qui jaillit pour transformer le monde. Enfin, par ce qu’il est profondément: un être enjoué et plein de couleurs, acceptant la vulnérabilité comme le verre costaud qu’il travaille, pour la construction d’une relation humaine plus authentique, sa plus belle sculpture de transparence, car elle crée l’étincelle et procure la joie. C’est sûr, on repart enflammé de son rire cristallin, heureux d’avoir rencontré ce verrier hors du commun !
Propos recueillis lors d’une interview réalisée à Brussieu (Lyon) le 11 juin 2017