Une artiste en or, tellement unique et remarquable ! Sara Bran se découvre comme on contemple l’une de ses parures : avec une infinie délicatesse, dans des décors de vie faits d’entrelacs d’ombres et de lumières, de vides et de pleins, avec une rythmique parfaite qui nous entraîne jusqu’à l’émerveillement. Profondément humaine et sensible, elle a cette surabondance de dons qu’elle a su faire fructifier dans un métier à part, celui de « Dentellière sur or » à la croisée de la bijouterie, de l’art et du design. Une excellence et une notoriété qu’elle dédie désormais à la beauté de la nature et à la conservation, elle qui sait si bien capter et retranscrire la mélodie secrète et poétique du monde.
Sara Bran est Française, née au Cameroun, et a vécu pendant son enfance dans plusieurs pays d’Afrique. « On est imprégné par l’endroit où l’on a grandi ! La diversité ethnique, les langues, les odeurs et les couleurs… Toute cette explosion et richesse qui font ce continent. » Fille cadette dans une famille d’intellectuels, elle est différente des autres avec une âme d’artiste, une sensibilité à fleur de peau et une curiosité précoce. Elle pratiquera le dessin dès son jeune âge, « car c’était la seule activité créative accessible à l’époque », et deviendra une élève studieuse s’appliquant dans les autres disciplines scientifiques. A l’adolescence, Sara a soif d’indépendance et ressent une réelle urgence à travailler de ses mains. Elle va alors se lancer dans les études de l’histoire de l’art et des arts plastiques en même temps. « Mon parcours est finalement la combinaison de cette part artistique avec un esprit scientifique et chercheur. » Elle débutera sa carrière avec la peinture, le dessin, le modelage et la photo, puis se perfectionnera dans la sculpture sur pierre en 1989, en rencontrant le sculpteur britannique Nick Rawson. Un jour, un petit élément de sculpture se détache et elle en fera un pendentif. Suivra un autre bijou, puis encore un troisième jusqu’à une collection entière, et même plusieurs, faites avec des matières naturelles, des bois précieux et des pierres semi-précieuses. « J’ai toujours été attirée par l’objet décoratif et notamment la parure du corps, le bijou. »
Autodidacte, Sara Bran va alors se perfectionner auprès d’un ami joaillier, puis chez plusieurs meilleurs maitres artisans de France. « Ce joailler exerçait la glyptique. Il m’a appris à exercer mon regard. Il voyait d’un coup d’œil les défauts des pièces, et m’a appris à percevoir la finesse de chaque détail. » Elle va apprendre aussi le travail sur les métaux précieux et découvrir la technique de la découpe manuelle, une technique traditionnelle de repercé à la scie boc-fil. « Elle permet de faire des ouvertures dans le métal pour y installer des pierres par exemple, mais j’y voyais un champ d’exploration ornemental nouveau, avec des jeux d’ombre, des décors fins, des menus détails et cela me fascinait ! » Ce travail exigeant de précision, de minutie et de patience l’attire et elle se lancera désormais dans cette quête, pour faire pénétrer la lumière avec des créations originales.
En 2008, Sara Bran est invitée à Lisbonne pour un séminaire entre maitres d’art Portugais et Français, et c’est là qu’elle va commencer à s’intéresser aux dentelles textiles. « J’ai vu beaucoup de similitude avec mon travail dans les motifs, les ornementations, à l’exception de la matière. » Le musée national des Arts Décoratifs de Lisbonne a accepté pour la première fois de prendre une artiste contemporaine en résidence. Sara va relever le défi : mener un immense travail de recherche sur ce répertoire des dentelles textiles pendant deux ans, en dialoguant avec les maîtres d’art et en relation avec les grands musées et maisons d’Europe. L’artiste inventorie et collecte des motifs et pièces de dentelles anciennes, partout où elle va ; « un répertoire de motifs et d’associations, de rythmes en fait » ; et va les reproduire ou les réinterpréter avec sa matière de prédilection, l’or. « Cela donnera naissance à ma première collection : “l’Or du Temps” qui fera l’objet d’une des deux expositions à Lisbonne en 2009 et 2010. » Sara va aussi rencontrer les ouvrières textiles et les dentelières qui maintiennent ce patrimoine vivant. La dentelle belge par exemple. Mais aussi en France avec le point d’Alençon ou la dentelle d’Argentan, inscrite au patrimoine culturel et immatériel de l’Unesco. « C’est une technique rare de point à l’aiguille d’une finesse extrême. Elles passent 10 à 15 heures sur un cm2 de dentelle ! » Elle entreprendra aussi un travail de recherche sur les alliages, la mise en œuvre, la forge et la construction car elle veut réussir ce pari incroyable : trouver cette même finesse, légèreté et souplesse dans ses créations en métal, pour qu’elles s’apparentent à la dentelle textile. « A un moment, j’ai eu besoin de prendre mes distances pour créer mon alphabet personnel. » Elle va alors créer ses propres motifs géométriques et organiques : on reconnait par exemple des étoiles, des fleurs, des papillons, des graines ou des feuilles ; des motifs que l’on retrouve dans l’ensemble de son œuvre, en plus de ces thèmes majeurs comme l’axe du temps, l’univers marin et les secrets des cœurs.
Douze ans de pratique pour un art qu’elle maîtrise comme une virtuose. « Une vision, un détail de la nature, un fragment de vie me procurent une émotion », et elle va retranscrire ces instantanés en bijoux intemporels. Elle réalise une esquisse ou un croquis puis un dessin précis qu’elle trace ensuite sur des plaques : des tôles opaques dans lesquelles elle va enlever peu à peu de la matière, après avoir percé des trous avec des forets. Puis avec sa lame de scie boc-fil, elle découpe à main levée avec une précision extrême, un geste répété des milliers de fois. Un travail de tension et de concentration qui peut durer jusqu’à 600 heures pour une œuvre, jusqu’au polissage final, l’empierrement et le sertissage. Pour obtenir des créations aériennes si pures et délicates, faites d’entrelacs métalliques qui défient la pesanteur, avec des lignes, des rythmes et réseaux comme un poème en musique. « Il me fallait un métier, donc je m’en suis inventée un ! » A la convergence de tous ses talents. Le dessin, la sculpture qui donnent les bases du croquis et de la construction. Puis les techniques de bijouterie pour arriver à une finition de Haute Joaillerie. « Il y a eu une évolution dans mon travail. Il est plus précis et le niveau de finition est meilleur. J’ai aussi un sertisseur exceptionnel qui, à chaque aventure, repousse les limites du possible. » Son art unique est aujourd’hui reconnu mondialement, et elle collabore, en plus de ses collections personnelles, avec les grandes maisons de la Place Vendôme, ou pour des commandes privées. Sara Bran a notamment créé des œuvres en collaboration avec la marque Piaget et habillé les flacons rares du parfum “La petite robe noire” de Guerlain pour une collection exclusive. Finaliste du Prix Bettencourt pour l’Intelligence de la Main en 2010, Grand Prix de la Création Les Fèvres MNRA en 2011, la dentellière sur or cultive cependant la discrétion et la sobriété. Et c’est en s’immergeant dans la nature, ou dans les arts martiaux comme le karaté à haut-niveau, qu’elle trouve un lieu d’expression pour son corps et sa quête d’équilibre et de ressourcement.
Sara Bran présente jusqu’au 4 novembre 2018 une exposition exceptionnelle “L’or des Secrets” au musée Le Secq des Tournelles à Rouen. C’est le fruit d’une rencontre avec l’ancienne conservatrice, venue à ma rencontre sur le salon Les Fêvres. 80 pièces exceptionnelles mises en parallèle avec les trésors du musée de la ferronnerie y sont exposées, dans une scénographie travaillée pour faire dialoguer ces créations magistrales sur or avec l’art du fer et d’autres raretés de joaillerie. On trouve notamment ses œuvres primées comme le col “Au coeur de la dentelle Guipure” réalisé en 2010, le col “Point d’Alençon” de 2014 ou encore le “Col de Natilde”.
Pionnière, elle aime mener plusieurs projets de front. Elle prépare ainsi un salon international de très haut niveau où elle présentera ses créations ; puis une prochaine exposition, d’ici deux ou trois ans, dans un nouveau musée. Ses collaborations continuent également cet été, avec notamment une maison de mode parisienne. Puis il y a ce projet qui lui tient tant à cœur, en lien avec la conservation et la biodiversité. « C’est un travail purement artistique que je réalise en ce moment en collaboration avec des photographes renommés. » Des tableaux en dentelles sur or qui représentent des espèces menacées, dont elle exposera quelques pièces en avant-première au mois d’octobre, avant une exposition prévue en 2019. « Cela va aller plus loin ! » Sara Bran crée cet été une association qu’elle présidera, et qui regroupera des artisans de l’excellence, des explorateurs et des navigateurs tous engagés pour la protection de la nature dans le monde. « C’est tellement important en tant qu’artiste, de sensibiliser le public et d’agir pour la conservation de ce patrimoine. Car c’est de cette beauté pure que vient notre source d’équilibre ! »
Respect et contemplation devant le parcours de cette dentellière sur or, qui a mis tout son génie, sa sensibilité et ses multiples dons au service de la quête du beau qui nous dépasse. Son travail artistique est remarquable, fruit d’une ascèse physique et mentale, où l’attention pure devient prière et nous ouvre les yeux au ravissement. Sara Bran poursuit aujourd’hui sa mission en véritable passeuse de lumière et ambassadrice de la nature, elle qui porte si bien l’infinie délicatesse et toute la force de l’éternel printemps. Suivons son regard qui perce les profondeurs pour mieux transcender le monde !
Textes et photos sont une création originale de ©Carine Mouradian, suite à une rencontre le 2 juin 2018 – Tous droits réservés.
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